Le périple d’un soldat français vers la Nouvelle-Calédonie
En 1892, le soldat français Paulin Albert Saffroy est affecté au 12e régiment d’infanterie en Nouvelle-Calédonie dans la ville coloniale de Nouméa. Il part le 28 janvier 1891 de Brest, et décide de témoigner de son trajet dans un carnet avec pour double ambition de « conserver (s)es impressions d’un long voyage en mer » et de « faire ressentir à d’autres ces impressions ».
Au départ, des Brestois, « bourgeois paisibles » selon Saffroy, viennent saluer les soldats alors que ces derniers disent au revoir à la « France toute entière ».
Arrivé à Marseille, l’environnement diffère diamétralement de « l’atmosphère brumeux de Brest ». Le régiment embarque dans l’Armand Béhic, un très gros paquebot qui réalise alors son premier long cours et débarque jusqu’en 1903 dans les ports de Nouvelle-Calédonie et d’Australie. Il accueille d’ailleurs à son bord Paul Gauguin en 1893 !
Quarante jours de navigation attendent les soldats, avec huit escales. Au fil des chapitres, l’auteur narre son expérience à bord du bateau : les paysages des différentes escales, les changements météorologiques, ou encore son simple quotidien. Tout y est décrit pour que le lecteur puisse s’imaginer lui aussi en route vers Nouméa.
Par exemple, dans le chapitre six en Australie, l’auteur décrit avec légèreté l’observation de « nombreuses troupes de marsouins qui passent près du navire […] bientôt suivis de quelques requins ». Plus loin, une réflexion plus sombre sur la vanité du progrès technique face à la puissance de la nature, il imagine un naufrage : « Qu’une lame plus forte que les autres vienne à l’écraser, et ce sera une épave de plus dans cet immense sépulcre liquide et ces hommes partis de Marseille avec la pensée intime de revoir la France s’engloutissant avec lui pour servir à leur tour de pâtures aux monstres marins ».
Le récit alterne donc entre scènes anecdotiques et introspection : il ne s’agit pas d’un compte-rendu froid, c’est aussi l’expérience personnelle d’Albert Saffroy.
Le bateau arrive le 14 mars dans le port et le quitte cinq jours plus tard, laissant le régiment à son sort.
Une lettre du 10 juillet 1892 accompagne le témoignage où Saffroy explique sa situation à ses cousins : le chef du Bureau du télégraphe militaire refuse de le prendre comme télégraphe. Saffroy décide de faire une réclamation mais le colonel ne veut pas la signer et se retrouve pendant cinquante jours en salle de police, puis réussit à trouver une activité en hôpital.
En ce qui concerne la ville, l’auteur de la lettre nous explique qu’elle n’est belle que de loin, car les rues sont particulièrement sales. La population est composée majoritairement d’anciens condamnés, hommes ou femmes, puisque Nouméa fut jusqu’en 1924 ville du bagne « La Nouvelle », et des mariages furent volontairement organisés par la Direction des colonies.
Après ce voyage, on sait seulement qu’Albert Saffroy passe au 2e régiment d’infanterie de marine à Brest le 22 octobre 1892. On comprend donc qu’il retourne en France trois mois après sa lettre. Son matricule mentionne également une condamnation à la prison de 15 jours en 1897 jours pour avoir fait « une infraction à la loi sur les courses ».
Finalement, si l’auteur se montre très humble sur la portée de son écrit, ce document nous est aujourd’hui le témoignage précieux d’un soldat à bord de l’Armand Béhic en chemin pour la Nouvelle Calédonie.
Pour en savoir plus sur le bagne de la Nouvelle-Calédonie, les médiathèques de Brest vous proposent ces deux ressources, toutes deux aux Capucins :
Fougère, Henri. Le grand livre du bagne en Guyane et Nouvelle-Calédonie, 2002, MER C4381
Trigueros, Hélène. Femmes au bagne: les oubliées de l'Histoire, 2018, HIS 944.08
>>>Découvrir le document numérisé<<<
Saffroy, Albert. Voyage de Brest à Nouméa d'Albert Saffroy dédié à Monsieur et Madame Portzert. 1892
Brest, Médiathèque François Mitterrand-Les Capucins, MS 181